Bilinguisme divergent, angoisse linguistique et le projet de loi 96

by David Korzinski | October 7, 2021 7:29 pm

Un rapport de l’Institut Angus Reid


Le 8 octobre 2021 – La langue est depuis longtemps considérée comme un élément central des identités personnelles et culturelles. Bien que de nombreuses langues autochtones et immigrées soient parlées au Canada, l’identité linguistique du pays est souvent abordée sous l’angle des populations anglophones et francophones. Ces conversations sur la langue n’appartiennent pas qu’à l’histoire; elles sont toujours d’actualité et souvent menées dans le cadre de la politique provinciale et fédérale. Le présent rapport de l’Institut Angus Reid, un organisme sans but lucratif, aborde ces questions sous différents angles. Plus précisément, il explore l’avenir du bilinguisme au Canada, les préoccupations relatives au sort de la langue française au Québec et le débat entourant le projet de loi 96 – la révision proposée des lois linguistiques du Québec.

Conclusions principales:

À propos de l’Institut Angus Reid

L’Institut Angus Reid (ARI) a été fondé en octobre 2014 par le Dr. Angus Reid, enquêteur et sociologue. ARI est une fondation de recherche nationale sur l’opinion publique sans but lucratif et non partisane, créée afin de faire progresser l’éducation par la commission, la réalisation et la diffusion de données statistiques impartiales et accessibles au public sur des sujets tels l’économie, les sciences politiques, la philanthropie, l’administration publique, les affaires domestiques et internationales, ainsi que d’autres enjeux socioéconomiques importants au Canada et à son peuple.

INDEX

Première partie: Le statut du bilinguisme officiel au Canada

Deuxième partie: Angoisse linguistique

Troisième partie: Le projet de loi 96 : Une loi respectant la langue française, langue officielle et commune du Québec

Quatrième partie: La perception du reste du Canada

Cinquième partie: Les deux solitudes linguistiques du Canada?

 

Première partie: Le statut du bilinguisme officiel au Canada

Même avant la Confédération, les deux langues officielles du Canada, soit l’anglais et le français, étaient au cœur de l’identité canadienne[3]. Un manque de communication perceptible a existé au sein de ces deux communautés linguistiques et culturelles pendant une longue période au cours de l’histoire canadienne, un problème de communication évoqué de façon mémorable par Hugh MacLennan dans son roman Deux solitudes[4].

Depuis ce temps, plusieurs politiques gouvernementales ont été conçues afin de combler le fossé entre ces deux parties, notamment en faisant la promotion du bilinguisme français-anglais. Alors que le bilinguisme officiel, dans un contexte Canadien, fait référence à une large gamme d’initiatives ciblées à promouvoir les compétences dans les deux langues, un de ses fondements est la Loi sur les langues officielles (1969)[5], selon laquelle toutes les institutions fédérales doivent fournir des services en anglais ou en français en fonction de la demande.

De récentes données indiquent que les deux tiers des Canadiens (67 %) considèrent que le bilinguisme officiel est une chose dont il faut être fier, avec toutefois quelques disparités régionales marquées :

Comprendre le concept de maîtrise de la langue

Si les Canadiens appuient généralement le bilinguisme officiel en théorie, les données de cette étude suggèrent que le nombre de Canadiens mettant cela en pratique et apprenant les deux langues pour atteindre un niveau de compétence élevé est nettement inférieur.

Afin de mieux comprendre le profil linguistique des répondants, deux démarches ont été adoptées pour cette étude. La première était de demander aux répondants quelle(s) langue(s) ils ont apprise(s) et parlée(s) à l’enfance. La seconde était de leur demander d’évaluer eux-mêmes leur capacité à parler, écrire et comprendre l’anglais, le français ou les deux langues. Les niveaux de compétences ont été établis dans le but de correspondre à ceux du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR)[6]. Les répondants ayant un minimum de connaissance du français ou de l’anglais ont été répartis selon quatre niveaux :

Alors que le gouvernement du Canada utilise un système de codage[7] similaire pour évaluer les compétences linguistiques de ses employés, le recensement[8] canadien ne fait que demander aux répondants s’ils sont capables de soutenir une conversation dans les deux langues officielles.

La configuration du territoire sur le plan linguistique

Cette étude suggère que la configuration du territoire sur le plan linguistique semble différer fortement en fonction de la langue officielle dont il est question. Plus de la moitié des Québécois francophones (51 %) estiment parler anglais couramment et deux sur cinq (46 %) disent avoir des connaissances de base ou de niveau intermédiaire dans cette langue. Seulement trois pourcent déclarent ne pas pouvoir parler anglais du tout.

Parmi les allophones[9], un terme utilisé pour décrire quelqu’un dont la première langue n’est pas l’anglais, le français ou une langue autochtones, le taux de connaissance de l’anglais est encore plus élevé. Huit répondants allophones sur dix au Québec (79 %) et neuf sur dix dans le reste du Canada (96 %) affirment avoir un niveau d’anglais avancé ou supérieur (veuillez consulter les tableaux détaillés).

Il est important de souligner que cette étude était disponible seulement en anglais et en français. Par conséquent, le nombre d’allophones sans connaissance d’une langue officielle est probablement sous-évalué.

 

Ce portrait est toutefois bien différent lorsqu’il est question du niveau de connaissance du français à travers le pays. Seulement huit pourcent des Canadiens hors Québec qui apprennent le français comme langue seconde estiment être de niveau avancé ou supérieur. La moitié (45 %) déclarent n’avoir aucune connaissance en français. Seule exception : les non francophones du Québec, dont la moitié (56 %) affirment posséder un niveau avancé ou supérieur dans cette langue.

Ces données portent à croire qu’en pratique, le bilinguisme au Canada est attribuable aux Canadiens francophones apprenant l’anglais – un phénomène que l’on peut observer depuis 1961[10]. Cependant, une tendance parallèle, liée à l’élargissement de programmes comme l’immersion française, suggère que les plus jeunes générations de non francophones au pays atteignent maintenant des niveaux de compétence plus élevés dans cette langue (et ont plus de facilité à retenir ces connaissances que les générations plus anciennes[11]) :

Un phénomène semblable peut être constaté dans les populations francophones, mais dans une mesure plus importante :

Cette image divergente du bilinguisme complique quelque peu les idées reçues à propos de l’identité canadienne. Si notre vision du bilinguisme officiel est souvent dépeinte comme étant essentielle à l’identité canadienne[12], il est intéressant de noter que les citoyens qui se sentent les moins attachés envers le pays (seulement 58 pourcent des Québécois disent ressentir « un engagement émotionnel profond envers le Canada » — veuillez consulter les tableaux détaillés) sont également ceux qui favorisent le plus la croissance du bilinguisme.

Une comparaison juxtaposée permet de constater l’étendue de cette divergence :

Deuxième partie: Angoisse linguistique

Cette image d’un bilinguisme divergent prend une toute autre signification lorsqu’on l’observe à travers un contexte historique, selon lequel des siècles de politiques linguistiques ont visé à assimiler ce qui était alors perçu comme étant le « problème français », surtout par les administrateurs coloniaux.

Par exemple, un rapport[13] de Lord Durham présenté au gouvernement britannique en 1839 appelait à l’assimilation immédiate des francophones – un peuple qui, selon lui, était « sans littérature et sans histoire » – au sein de l’Amérique du Nord britannique anglophone. Bien que l’acte constitutionnel de 1867 ait convenu que l’anglais et le français étaient les langues officielles du Parlement canadien, des politiques ciblant injustement les francophones ont persisté jusqu’à tard dans le 20e siècle (particulièrement lorsqu’il est question de l’accès à l’éducation francophone[14] dans les provinces majoritairement anglophones).

L’avenir de la langue française au Québec et au Canada

Bien que ces politiques d’assimilation aient été infructueuses face à l’esprit de survivance[15] des Canadiens français, une inquiétude de longue date continue d’exister dans leurs communautés quant à l’avenir de la langue française au pays. Au cours des dernières années, ces préoccupations ont été alimentées par des données[16] de Statistique Canada démontrant que le nombre de citoyens dont le français est la langue maternelle chute régulièrement. En effet, ce pourcentage est passé de 29,3 % en 1941 à 21 % en 2016 (mais il est important de souligner que la proportion de Canadiens dont l’anglais est la langue maternelle a également chuté, en raison de l’augmentation de ceux ayant une autre langue maternelle que les deux langues officielles).

Certains font valoir[17] que le déclin de la langue française au Canada se fait également sentir au Québec, puisque d’autres langues (notamment l’anglais, mais pas uniquement) sont parlées de plus en plus couramment à domicile et sur le marché du travail. Au Québec, l’opinion à ce sujet diffère selon les groupes linguistiques. En effet, les trois quarts des Québécois dont le français est la langue maternelle (77 %) déclarent être préoccupés par le sort de la langue française dans leur province. En revanche, seulement la moitié de ceux ayant grandi en parlant les deux langues officielles sont préoccupés par la question (55 %) et neuf anglophones sur dix (91 %) n’ont aucune inquiétude sur le sujet.

On peut observer d’autres différences, moins prononcées, sur le plan générationnel. Seulement la moitié des Québécois âgés entre 18 et 34 ans (54 %) sont préoccupés par l’avenir du français, comparativement à sept sur dix (72 %) parmi ceux âgés de plus de 55 ans.

L’élément géographique est un facteur-clé de cette discussion et l’expansion de la langue anglaise dans la ville de Montréal est souvent présentée comme étant au cœur de ce problème[18]. Étant la ville où habitent 80,5 pourcent de la population anglophone du Québec[19] et celle accueillant le plus d’immigrants de la province, il n’est pas étonnant de constater que la moitié des Montréalais (53 %) remarquent que l’anglais est de plus en plus parlé dans leur quartier.

Cela dit, les répondants montréalais sont ceux qui disent être le moins préoccupés par le sort du français, malgré l’expansion de la langue anglaise dans leur ville. Il est intéressant de constater que les régions du Québec où l’on s’inquiète le plus de l’avenir de la langue française, soit le centre et l’est du Québec, sont celles où la croissance de l’anglais se fait le moins sentir :

L’avenir de la langue anglaise au Québec

Si les anglophones ne s’inquiètent pas outre mesure de l’avenir de la langue française au Québec, un argument semblable pourrait être avancé quant aux opinions des francophones à propos du statut de la langue anglaise dans la province. Plus précisément, les deux tiers des francophones (66 %) croient que les droits des anglophones sont déjà suffisamment protégés au Québec. Au contraire, quatre Québécois sur cinq dont l’anglais est la langue maternelle (84 %) sont d’avis contraire.

Ici encore, l’histoire nous fournit d’importantes indications sur le contexte de cette disparité. Au Québec, des lois provinciales ont imposé certaines restrictions sur l’accès aux services en anglais dans la province[20]. Ces conditions touchent à des domaines comme les restrictions en milieu de travail ou l’affichage public. Par exemple, les limites imposées au nombre de personnes pouvant fréquenter l’école anglaise ont contribué au déclin du nombre d’inscriptions[21] à ces écoles, un nombre qui s’élevait à 200 000 élèves dans les années 70 et a baissé jusqu’à moins de 100 000 en 2008.

Alors que ces restrictions ont été formulées par le gouvernement provincial, qui les a jugées essentielles pour protéger la langue française, la minorité anglophone du Québec a tendance à les percevoir comme étant une atteinte à leurs droits[22] – plus spécialement lorsqu’on invoque la disposition de dérogation[23] interdisant le recours juridique à la Charte canadienne des droits et libertés.

Troisième partie: Le projet de loi 96 : Une loi respectant la langue française, langue officielle et commune du Québec

En 1968, une commission royale d’enquête[24] a été établie par le gouvernement fédéral pour étudier l’inégalité entre l’anglais et le français, ainsi que l’absence de mesures fédérales visant à encourager le développement de la langue française. La commission Gendron, comme elle fut appelée, a trouvé des preuves de l’anglicisation rampante et d’une marginalisation des francophones au Québec. Elle a également proposé une série de recommandations afin de protéger l’avenir de la langue française et de ses locuteurs dans la province.

Les recommandations proposées par cette commission ont mené le gouvernement du Québec à adopter la Loi sur la langue officielle[25] en 1974, faisant du français la langue de l’administration et des services, de même que la langue du travail. Par la suite, la Charte de la langue française[26], déposée en 1977 par le Parti Québécois, parti favorable au souverainisme, a renforcé ces mesures et obligé les immigrants (incluant les Canadiens provenant d’autres provinces) à s’inscrire à une école de langue française au Québec. La Charte de la langue française et ses modifications ultérieures ont fait l’objet de protestations[27] de la part des anglophones du Québec.

Tel qu’indiqué plus haut, des préoccupations quant à l’avenir du français au Québec persistent encore aujourd’hui. L’initiative législative la plus récente afin de protéger la langue française est la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français[28], communément appelée « le projet de loi 96 », qui fut introduit par la Coalition Avenir Québec, un parti de centre droit nouvellement créé ayant pour objectif l’autonomie accrue du Québec. Le projet de loi 96 déclare que « les québécoises et québécois forment une nation » et que « le français est la langue officielle du Québec ». Le soutien envers cette mesure symbolique est nettement divisé selon les différents groupes linguistiques :

En plus de cette action largement symbolique, le projet de loi 96 propose de nouvelles mesures jugées nécessaires afin de protéger et fortifier la langue française au sein de la province. Le soutien envers ces propositions varie considérablement selon la mesure dont il est question et la communauté linguistique des répondants. Alors que presque tous les répondants sont d’accord avec l’idée d’offrir des cours de français gratuits (98 % et 92 % des francophones et anglophones, respectivement), les divergences d’opinion se font fortement ressentir lorsqu’il est question des autres mesures que nous avons détaillées lors de cette étude (veuillez consulter les tableaux détaillés pour des résultats complets) :

Bien que les francophones soient généralement favorables envers ces mesures, ils sont moins convaincus de la pertinence de celles qui compromettent leur accès à des possibilités éducatives en anglais. Ce phénomène est particulièrement marqué en analysant les réponses par génération. Lorsqu’il est question d’imposer un nombre limite de places pour les étudiants francophones dans les cégeps anglophones financés par l’état, la moitié des francophones âgés de 18 à 54 ans (50 à 52 %) s’y opposent, alors que sept francophones de plus de 55 ans sur dix (71 %) sont en faveur.

Le projet de limiter l’accès aux programmes en anglais dans les cégeps francophones reçoit encore moins d’appui. En effet, les deux tiers des francophones âgés de 18 à 34 ans (64 %) et la moitié de ceux âgés entre 35 et 54 ans (55 %) s’y opposent. Pour leur part, trois francophones de plus de 55 ans sur cinq (62 %) sont en faveur de cette mesure :

Le niveau de soutien envers le projet de loi 96 demeure relativement stable à travers différentes tranches démographiques, comme le niveau d’instruction, le revenu du ménage et le genre, mais il varie considérablement en fonction de la génération des répondants. La moitié de ceux âgés de 18 à 54 ans (55 à 56 %) sont généralement en faveur, comparativement à sept répondants sur dix (72 %) parmi ceux qui sont âgés de plus de 55 ans (veuillez consulter les tableaux détaillés). Encore une fois, les écarts les plus prononcés existent en fonction des groupes linguistiques :

De plus, il existe une corrélation intéressante entre les compétences en langue anglaise et le soutien pour le projet de loi 96. Il semblerait que plus une personne parle anglais couramment, moins elle est sujette à appuyer ce projet de loi :

Le projet de loi 96 et la voie à suivre

Malgré une certaine hésitation entourant quelques mesures en particulier, les francophones semblent être largement favorables à l’idée sous-jacente au projet de loi 96 : la protection de la langue française au Québec. En dépit des controverses, la loi précédent le projet de loi 96, soit la loi 101, paraît avoir réussi à encourager l’utilisation du français dans la province, parallèlement à certaines mesures[29], comme celles encadrant le nombre d’étudiants anglophones et allophones fréquentant des établissements scolaires francophones.

On s’interroge toujours à savoir si le projet de loi 96 sera un ajout efficace au rempart législatif érigé afin de protéger la langue française. Le tiers des Québécois dont la langue maternelle est le français (36 %) croient qu’il existe de meilleures solutions pour protéger la langue. Lorsque nous examinons ces données en fonction du Québec en entier, ce nombre passe à la moitié des répondants (48 %).

Parallèlement à ces observations, on remarque que plus les compétences en anglais des répondants non anglophones sont grandes, plus ils sont enclins à penser qu’il existe de meilleurs moyens de protéger la langue française. Plus de la moitié de ceux qui disent maîtriser l’anglais (55 %) estiment qu’il existe des façons plus efficaces de promouvoir le français, alors que parmi ceux qui se considèrent comme débutants, un sur cinq (21 %) est du même avis (veuillez consulter les tableaux détaillés).

Dans l’ensemble, les répondants émettent des doutes quant aux implications possibles de ce projet de loi. Bien que les francophones et les générations plus âgées ont davantage confiance que les répercussions du projet de loi 96 seront positives (veuillez consulter les tableaux détaillés), l’examen d’un échantillon représentatif de la population totale du Québec suggère qu’il existe tout de même quelques inquiétudes importantes au sujet de l’impact négatif qu’il pourrait avoir.

Trois Québécois sur cinq (62 %) sont d’avis que, si le projet de loi 96 était adopté, il aurait une incidence négative sur la réputation de la province au sein du Canada. Au-delà de cette atteinte à la réputation, une forte proportion de Québécois (52 %) s’inquiètent de l’impact négatif que cela pourrait avoir sur les entreprises commerciales qui souhaitent installer leurs opérations dans la province, ainsi que sur les industries déjà établies au Québec (44 %). Il convient de noter qu’aucune proposition ne dépasse le seuil de 50 pourcent de répondants estimant que les répercussions seront positives :

Ici aussi, le clivage linguistique se fait ressentir. En effet, les francophones sont beaucoup plus enclins que les non francophones à présager des retombées positives (pour des résultats spécifiques sur les répondants anglophones et allophones, veuillez consulter les tableaux détaillés) :

En plus des répercussions sur l’ensemble du Québec, nous avons demandé aux répondants d’évaluer les conséquences du projet de loi 96 au niveau personnel, par exemple lorsqu’il est question du bien-être futur de leur famille. Encore une fois, des divisions importantes sont apparues parmi les différents groupes linguistiques. De fait, 71 pourcent des anglophones affirment que si le projet de loi 96 était adopté, cela aurait un impact négatif sur leur santé économique :

À cette question, les générations plus âgées de francophones sont les plus convaincues que les répercussions de ce projet de loi seront positives (47 %), alors que la même quantité de francophones entre 18 et 34 ans (46 %) croient qu’il n’y aura aucun impact réel (veuillez consulter les tableaux détaillés).

Quatrième partie: La perception du reste du Canada

Les débats ayant abouti à l’adoption de la loi 101 en 1977 ont été suivis de près autant à l’intérieur du Québec qu’à l’extérieur, comme l’ont été les années de controverse qui ont suivi. Bien que certains commentateurs aient tenté de faire resurgir les spectres du passé en lien avec la loi 101 pour prévenir les citoyens que le projet de loi 96 pourrait nuire à la paix linguistique au Québec[30], il semblerait que la plupart des Canadiens hors Québec n’aient pas connaissance de cette situation – du moins, en date de juillet dernier. Lorsque nous leur avons demandé dans quelle mesure ils suivaient de près la question du projet de loi 96 dans l’actualité, seulement cinq pourcent ont répondu qu’ils suivaient la question de près et deux répondants hors Québec sur cinq (43 %) n’avaient jamais entendu parler du projet de loi 96 :

Malgré que peu de citoyens hors Québec connaissaient le projet de loi 96 avant cette étude, la plupart semblent s’être rapidement fait une opinion sur le sujet. En général, le reste du Canada est fortement défavorable, avec neuf répondants sur dix (89 %) s’y opposant. Il faut noter que cette opposition demeure relativement stable, peu importe le degré de connaissance préalable du projet de loi 96 :

En contraste flagrant avec la manière dont la plupart des Canadiens hors Québec perçoivent ce projet de loi, tous les partis politiques ont voté en faveur d’une motion présentée au Parlement par le Bloc Québécois[31], soutenant le projet du Québec de pouvoir modifier lui-même sa section de la constitution canadienne et déclarer que le français est sa seule langue officielle et commune. La motion a reçu l’appui de tous les députés présents, sauf deux députés indépendants.

Bien que l’objection des répondants à cette motion n’atteint pas le niveau d’opposition envers le projet de loi 96 en tant que tel, les trois quarts des Canadiens hors Québec (73 %) sont contre cette décision parlementaire :

Cinquième partie: Les deux solitudes linguistiques du Canada?

Dans quelle mesure les politiques fédérales favorisant le bilinguisme et la communication à travers les différentes communautés linguistiques du pays ont-elles réussi à surmonter la question des deux solitudes linguistiques du Canada? La gouverneure générale Michaëlle Jean avait-elle raison, lorsqu’elle a déclaré[32] en 2005 que « le temps des deux solitudes, qui a trop longtemps défini notre approche au pays » était terminé?

Dans une certaine mesure, il y a certainement eu des améliorations. Tel que nous l’avons mentionné au début de ce communiqué, l’idée du bilinguisme au pays recueille un large appui et, bien qu’il existe de grandes différences entre le Québec et le reste du Canada, les jeunes générations semblent être de plus en plus bilingues. Pourtant, il reste d’importantes divisions sur le plan linguistique, tel que le démontrent le débat entourant le déclin de la langue française et les mesures législatives comme le projet de loi 96.

Ces données font plus que souligner des points de vue divergents sur les mérites du projet de loi 96; elles en disent long sur la vision que les francophones ont d’eux-mêmes au sein du Canada et sur la façon dont les communautés anglophones perçoivent la place qu’ils occupent au Québec. La seule zone de chevauchement entre ces deux discours est qu’ils se sentent tous deux exposés au déclin. D’un côté, le Québec et les communautés francophones au Canada sont de vrais îlots linguistiques dans une mer anglophone. D’un autre, la communauté anglophone québécoise est elle-même une minorité nichée à l’intérieur d’une communauté linguistique plus grande.

En définitive, lorsqu’on considère les différents discours appartenant à chaque communauté, le caractère positif ou négatif du projet de loi 96 varie considérablement en fonction de l’endroit où l’on se situe. Cette tendance se confirme par les différentes manières dont les communautés linguistiques perçoivent l’objectif du projet de loi 96. Pour quatre répondants sur cinq dont la langue maternelle est le français (80 %), il s’agit d’un instrument fort nécessaire pour protéger l’avenir du français contre la montée de la langue anglaise. Cependant, pour neuf répondants sur dix dont l’anglais est la langue maternelle (91 %), il s’agit d’une attaque législative dirigée contre leur communauté.

Bien entendu, le point de vue des allophones et des peuples autochtones manque à ce discours. On pourrait dire que ces deux groupes sont ici négligés, puisque l’histoire canadienne est souvent interprétée comme étant fondée sur deux solitudes linguistiques en particulier. Effectivement, comme le chef de la communauté mohawk de Kanesatake l’a déclaré plus tôt cet été[33], les peuples autochtones comprennent fort bien ce que signifie avoir à se battre pour garder sa langue et sa culture au sein d’une population beaucoup plus grande.

Malgré la question plus large, à savoir si l’on doit considérer ou non l’histoire canadienne comme étant fondée sur deux solitudes, les données ici présentées portent à croire que des écarts importants subsistent encore entre ces deux groupes linguistiques, en dépit des similitudes de leurs discours. Il semblerait que, du moins dans ce cas, certains éléments de cette vision classique des deux solitudes persistent. Il reste à voir si les efforts législatifs, comme le projet de loi 96 et la nouvelle politique du gouvernement fédéral visant à promouvoir l’égalité linguistique[34] au pays, pourront réussir à aplanir ces clivages ou non.

 

Methodology

L’Institut Angus Reid (ARI) a mené une enquête en ligne du 25 au 29 juillet 2021 parmi un échantillon aléatoire représentatif issu d’un groupe de 2103 adultes canadiens membres du Forum Angus Reid[35].

À titre de simple comparaison, un échantillon probabiliste de cette taille impliquerait une marge d’erreur de +/- 2,1 points de pourcentage, 19 fois sur 20. Les écarts dans les totaux ou entre eux sont attribuables aux arrondissements.

Il comprend un échantillon élargi de 1080 répondants québécois et de Québécois anglophones et allophones, afin d’étendre ces importants sous-échantillons à 225 et 82 répondants, respectivement. Les échantillons identifiés en tant que Canada, Québec ou Reste du Canada (RDC) pour cette étude sont pondérés pour être représentatifs. Les échantillons de communautés régionales ou linguistiques sont non pondérés.

Cette étude est indépendante et a été financée par ARI. 

 

Pour lire l’intégralité du rapport, y compris les tableaux détaillés et la méthodologie, cliquez ici[1].

Pour accéder aux tableaux récapitulatifs affichant les résultats détaillés par âge, genre, région, éducation et autres éléments démographiques au Canada cliquez ici[36].

Pour accéder aux tableaux récapitulatifs affichant les résultats détaillés par âge, genre, région, éducation et autres éléments démographiques au Québec cliquez ici[37].

Pour accéder aux tableaux récapitulatifs affichant les résultats détaillés par âge, genre, région, éducation et autres éléments démographiques au reste du Canada cliquez ici[38].

Pour consulter le questionnaire de l’étude, cliquez ici[39].

Image – Adrien Olichon/Unsplash

Contact presse

Shachi Kurl, President: 604.908.1693 shachi.kurl@angusreid.org[40] @shachikurl

Angus Reid, Chairman: angus.reid@angusreid.org[41] @angusreid

Gregor Sharp, Senior Research Associate: gregor.sharp@angusreid.org[42]

Endnotes:
  1. ici: https://angusreid.org/wp-content/uploads/2021/10/2021.08.13_Bill_96_Report_FR.pdf
  2. here: https://angusreid.org/wp-content/uploads/2021/10/2021.08.13_Bill_96_Report_ENG.pdf
  3. cœur de l’identité canadienne: https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-630-x/11-630-x2016001-fra.htm
  4. Deux solitudes: https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/deux-solitudes
  5. Loi sur les langues officielles (1969): https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/langues-officielles-1969-loi-sur-les
  6. Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR): https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages/level-descriptions
  7. système de codage: https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/dotation/normes-qualification/relatives-langues-officielles.html
  8. recensement: https://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2016/ref/questionnaires/questions-fra.cfm
  9. allophones: https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/allophone
  10. l’on peut observer depuis 1961: https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75-006-x/2019001/article/00014-fra.htm
  11. plus de facilité à retenir ces connaissances que les générations plus anciennes: https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75-006-x/2019001/article/00014-fra.htm
  12. souvent dépeinte comme étant essentielle à l’identité canadienne: https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/langue-et-identite-canadienne
  13. rapport: https://primarydocuments.ca/report-on-the-affairs-of-british-north-america-durham-report/
  14. l’accès à l’éducation francophone: https://www.tvo.org/article/why-ontario-once-tried-to-ban-french-in-schools
  15. survivance: https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/nationalisme-canadien-francais
  16. données: https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-630-x/11-630-x2018001-fra.htm
  17. font valoir: https://montrealgazette.com/news/local-news/two-oqlf-studies-show-french-declining-in-quebec
  18. cœur de ce problème: https://www.journaldequebec.com/2020/11/20/declin-du-francais-a-montreal--on-va-perdre-le-controle-de-notre-langue-sinquiete-labeaume
  19. population anglophone du Québec: https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-402-x/2011000/chap/lang/lang-fra.htm
  20. l’accès aux services en anglais dans la province: https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/politiques-linguistiques-du-quebec
  21. déclin du nombre d’inscriptions: http://danielturpqc.org/upload/The_Vitality_of_the_English-Speaking_Communities_of_Quebec.pdf
  22. atteinte à leurs droits: https://montrealgazette.com/opinion/editorials/editorial-a-time-for-english-speaking-quebecers-to-focus-on-our-future
  23. disposition de dérogation: https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/ontario-notwithstanding-explainer-1.6065686
  24. commission royale d’enquête: https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/la-commission-d-enquete-sur-la-situation-de-la-langue-francaise-et-sur-les-droits-linguistiques-au-quebec-commission-gendron
  25. Loi sur la langue officielle: https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/loi-22
  26. Charte de la langue française: https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/loi-101
  27. protestations: https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/loi-101
  28. Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français: http://m.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-96-42-1.html
  29. parallèlement à certaines mesures: https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/quebec-bill-101-40th-anniversary-1.4263253
  30. nuire à la paix linguistique au Québec: https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/bill-96-quebec-language-laws-1.6025859
  31. motion présentée au Parlement par le Bloc Québécois: https://www.theglobeandmail.com/politics/article-parliament-passes-bloc-motion-supporting-quebecs-constitutional-plan/
  32. déclaré: https://www.ledevoir.com/non-classe/91391/la-fin-des-deux-solitudes
  33. l’a déclaré plus tôt cet été: https://montrealgazette.com/news/quebec/quebecs-bill-96-is-a-second-colonization-kanesatake-grand-chief-says
  34. nouvelle politique du gouvernement fédéral visant à promouvoir l’égalité linguistique: https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/organisation/publications/publications-generales/egalite-langues-officielles.html
  35. Forum Angus Reid: https://www.angusreidforum.com/fr-ca/Connexion
  36. cliquez ici: https://angusreid.org/wp-content/uploads/2021/10/2021.09.30_Bill_96_Release_Tables_CAN.pdf
  37. cliquez ici: https://angusreid.org/wp-content/uploads/2021/10/2021.09.30_Bill_96_Release_Tables_QC.pdf
  38. cliquez ici: https://angusreid.org/wp-content/uploads/2021/10/2021.09.30_Bill_96_Release_Tables_ROC.pdf
  39. ici: https://angusreid.org/wp-content/uploads/2021/10/2021.06.01_Bill_96_Questionnaire_FR.pdf
  40. shachi.kurl@angusreid.org: mailto:shachi.kurl@angusreid.org
  41. angus.reid@angusreid.org: mailto:angus.reid@angusreid.org
  42. gregor.sharp@angusreid.org: mailto:gregor.sharp@angusreid.org

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